Le numéro 6, la maison des héros
La Seconde Guerre mondiale débute en 1939 et les combats sont de plus en plus nombreux début 1940. La plaine de Beaulieu sera témoin de combats au terme desquels la ville sera occupée par les troupes allemandes. Beaucoup de réfugiés arrivent à Wattrelos à partir du 15 mai 1940.
Très rapidement, de nombreux wattrelosiens vont entrer en résistance contre l’occupant. Il existera de réels réseaux qui participeront à la Résistance mais de nombreux anonymes aideront aussi les réfugiés, notamment la famille Saint-Ghislain, résidant dans cette maison de tisserand, construite en 1857.
Le vendredi 29 mai 1942, un convoi arrive en gare de Tourcoing avec, cachés à son bord, 6 soldats français évadés d'un stalag en Pomérie, près de la mer Baltique. Prévenus par leurs collègues de Belgique, le personnel de la gare, dont Louis Saint-Ghislain, décide d’épauler ces prisonniers. Louis, accompagné de sa épouse Madeleine, et leurs trois filles (Marie Madeleine, Jeanine et Marie-Paule âgées de 6 à 14 ans) les vêtissent et les nourrissent, les aident en les escortant et payent leurs billets de train pour regagner leur foyer. Ainsi, Madeleine et l’une des filles aideront l’un des hommes à retourner à Somain par le train : un couple avec un enfant est en effet plus discret qu’un homme seul. Les 6 hommes retourneront sans encombre chez eux.
Le rôle crucial de la famille Saint-Ghislain
La famille va dès lors poursuivre ses actions et continuer à aider les évadés. Désormais à chaque fois qu’un voisin, un collègue ou un ami des Saint-Ghislain trouve un évadé, on l’amène à la « Maison des Prisonniers ». Petit à petit, la famille va recevoir de l’aide comme celle du coiffeur Dufraine, qui coupe les cheveux de prisonniers, ou le photographe Ephraïm qui prépare les photos pour les papiers, le tout sans poser de question ni demander d’argent. De nombreuses personnes sont au courant de l’activité des Saint-Ghislain et les aident en donnant de la nourriture, des vêtements ou encore un peu d’argent pour payer les billets de train…
L'arrestation
Le 4 janvier 1944, Louis est arrêté par la Gestapo sur son lieu de travail pour suspicion de sabotage et détention d’armes à son domicile. Il sait que des preuves de son implication sont facilement trouvables : faux certificats de travail, papiers d’identité dans ses poches, un évadé est caché chez lui… Louis aura le temps de prévenir un ami qui récupérera les papiers cachés sur lui et préviendra sa famille.
Le lendemain, les voisins voient surgir une voiture noire… En sortent plusieurs membres de la Gestapo. Ils viennent perquisitionner la maison des Saint-Ghislain. À cet instant, Marie Madeleine, l’ainée des filles, est seule à la maison.
Des soldats allemands perquisitionnent sa maison. Dans un premier temps, ils interrogent Marie-Madeleine, mais celle-ci ne se laissera pas impressionner, bien qu’elle connaisse leurs méthodes d’interrogatoire utilisées pour délier les langues… Ils fouilleront ensuite la maison sans grande réussite. Des preuves étaient pourtant présentes : un pantalon sur la machine à coudre fait avec de la couverture de prisonnier portant les initiales « KG », signifiant « Kriegsgefangener », (« Prisonnier de Guerre » en allemand). Pourtant, la Gestapo repartira avec Louis sans que la police n’y trouve de justification aux premiers abords. Mais après enquête, le Bureau des prisonniers écrira finalement : « Saint Ghislain serait inculpé d’avoir hébergé des prisonniers de guerre français évadés ». De plus, Louis sera torturé car les Allemands veulent lui faire dire qu’il a aidé un certain Jack Green, un soldat anglais. Les deux hommes nient se connaître, et pour cause : c’est Madeleine qui a apporté les faux papiers au soldat anglais.
Le 19 janvier 1944, Madeleine sera arrêtée à son tour par les soldats allemands. Elle restera 8 jours à la prison Saint-Bernard de Loos où elle sera longuement interrogée sans toutefois être torturée puisqu'elle est enceinte. À sa libération, elle distribuera les lettres de ses codétenues qu’elle a pu cacher dans la doublure de son manteau à leur famille. Louis sera lui aussi transféré à la prison de Loos, puis sera envoyé au camp de Beverloo en Belgique, dont il sera libéré le 15 septembre 1944 lors de l’arrivée des Alliés.
Au total, la famille va accueillir et aider plus de 80 prisonniers français évadés des camps entre 1942 et 1945 ainsi que 100 soldats français, anglais et néerlandais. L’accueil pouvait durer entre 1 et 4 jours, et le tout dans une petite maison de 2 pièces au rez-de-chaussée et de 2 chambres à l’étage. Louis, Madeleine et Marie-Madeleine recevront des médailles militaires pour leurs actions et leur dévouement durant la guerre comme la Médaille Militaire, la Croix de Guerre ou la Médaille des Passeurs pour ne citer qu’elles.