Un dimanche après-midi à la Grande Jatte est d'abord un tableau aux grandes dimensions, 207 centimètres de haut, 308 de long. Monumentalité délibérée : Georges Seurat (1859-1891) le conçoit comme le manifeste du mouvement qu'il définit en compagnie de Paul Signac, le néo-impressionnisme. Celui-ci veut se distinguer de l'impressionnisme par son caractère scientifique. La perception des couleurs dans la lumière n'y est plus suggérée de façon empirique, comme s'y essaient Monet ou Renoir, mais selon le système des complémentaires, énoncé par Michel-Eugène Chevreul (1786-1889).
Il choisit à nouveau un sujet contemporain, dans la suite de Baudelaire et de Manet : les loisirs des Parisiens sur l'île de la Grande Jatte, sur la Seine, entre Neuilly et Courbevoie, lieu très couru de promenades et de rencontres. Se croisent là bourgeois à chapeau et artisans à casquette, amoureux et mères de famille, militaires en goguette et couples chics. Seurat associe la modernité du motif - la vie urbaine, comme Caillebotte ou Degas la décrivent au même moment - à la modernité du procédé divisionniste (divisions des tons par juxtaposition de « pastilles » de couleur).
Durant deux ans, au fil de nombreux dessins préparatoires (une trentaine) et d'études peintes (plus nombreuses encore), Seurat prépare à la fois son inventaire social et son analyse des étoffes et des peaux au soleil ou à l'ombre. Avec un humour dandy, il introduit quelques incongruités, un singe en laisse, une élégante pêchant à la ligne et un joueur de trompette. Cette variété de motifs favorise la variété des couleurs, donc démontre l'excellence du divisionnisme.
Après deux ans de travail, Un dimanche après-midi est exposé du 15 mai au 15 juin 1886, lors de la huitième exposition du groupe impressionniste, puis au Salon des indépendants en août et en septembre de la même année. Si les confrères de Seurat observent avec curiosité l'expérience, la critique se montre moins compréhensive.
Le Monde (avril 2013) Philippe Dagen