Patrimoine à vélo : Le Havre, patrimoine de l’UNESCO !

Après les bombardements alliés des 5 et 6 septembre 1944, Le Havre est l’une des villes d’Europe les plus meurtries : plus de 5 000 victimes, 80 000 sinistrés, 150 hectares dévastés. En 1945, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) confie la reconstruction du centre-ville à Auguste Perret (1874 - 1954) et à une vingtaine de ses collaborateurs. L’Atelier Perret conçoit une ville neuve en béton armé qui adopte les principes les plus modernes en matière d’urbanisme tout en s’inspirant de la composition d’avant-guerre. Cette réalisation, l’une des plus significatives et des plus innovantes du 20e siècle, est inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005. La plaque qui célèbre cette distinction est située sur la place de l’hôtel de ville. Déterminante dans le plan d’urbanisme défini par l’Atelier Perret, elle couvre cinq hectares (243 x 192 mètres) et reprend la typologie d’une place royale, flanquée d’édifices monumentaux (hôtel de ville et îlots des immeubles d’habitations situés en face) et mise en perspective par des axes majeurs. Elle s’ouvre au sud sur la rue de Paris et à l’ouest, sur l’avenue Foch, deux axes d’un triangle monumental fermé par le boulevard François 1er. À chaque sommet de ce triangle, les édifices se singularisent par leurs gabarits plus élevés qui scandent le paysage et constituent des repères dans la ville reconstruite : la Porte océane entre l’avenue Foch et le littoral, le Front de mer sud à l’extrémité de la rue de Paris et, enfin, l’hôtel de ville et les tours d’habitation des Immeubles sans affectation individuelle (I.S.A.I) Les quelques marches qui vous séparent des jardins témoignent du niveau de la ville avant-guerre. Ce dénivelé d’environ un mètre correspond aux débris accumulés après les bombardements qui ont été tassés pour rehausser la voirie.

Dans le plan d’urbanisme réalisé par l’Atelier Perret, l’hôtel de ville retrouve approximativement son emplacement d’avant-guerre comme la plupart des bâtiments emblématiques. Son inauguration en 1958 symbolise la renaissance de la ville. Erigé dans un registre monumental, l’édifice se compose de deux parties distinctes dont le caractère reflète les usages : la tour-building de dix-huit étages héberge les services administratifs tandis que le bâtiment horizontal, souligné par une colonnade s’étirant sur 92 mètres, abrite les grands salons de réception. A l’extrémité est, se situe le théâtre de l’hôtel de ville. L’entrée principale a été déplacée côté nord à la fin des années 1980 lors de l’extension du bâtiment réalisée sous la direction de l’architecte Pierre Colboc. Observez le dénivelé entre jardin et la rue. Environ un mètre marque la différence entre la ville ancienne et la voirie du centre-ville reconstruite sur les débris accumulés après les bombardements.

Situés face à l’Hôtel de ville, les Immeubles sans affectation individuelle (I.S.A.I.) sont les premiers édifices de l’Atelier Perret à sortir de terre. Ils comprennent 352 logements et forment quatre îlots composés de barres de trois étages ponctuées de tours de dix étages, positionnées pour optimiser l’ensoleillement. Préfinancés par l’Etat, ils permettent d’illustrer le langage architectural d’Auguste Perret et d’expérimenter rapidement les nouvelles méthodes de construction. Véritables prototypes, ils démontrent le savoir-faire de l’Atelier Perret dans l’utilisation du béton intégrant l’ossature poteaux-poutres et les éléments de remplissage préfabriqués, avec une subtile gamme colorée allant du beige au violet. Ces îlots définissent aussi la trame de 6,24 mètres, norme qui, d’un point de vue économique, facilite l’exécution d’éléments standardisés et, d’un point de vue esthétique, inscrit « la ville en mesure », régissant les vides et les pleins « telle une harmonie musicale ». Empruntez l’avenue Foch, entre l’hôtel de ville et la Porte océane, pour vous rendre à l’étape suivante !

Entre la plage et le centre-ville, sur l’axe de l’avenue Foch, le square Saint-Roch est un lieu de verdure emblématique de 2 hectares au cœur du centre reconstruit. Cet espace, situé en dehors des fortifications du Havre jusqu’au milieu du 19e siècle, est occupé à la fondation de la ville, au 16e siècle, par une léproserie. Devenu cimetière à la fin du 18e siècle, il est aménagé en jardin public quand les fortifications sont démantelées et remplacées par de grandes artères. En 1944, le square dévasté devient un cimetière provisoire avant d’être recomposé selon les plans d’avant-guerre en jardin à l’anglaise et bordé d’une clôture dessinée par l’Atelier Perret. Plusieurs sculptures rescapées des bombardements y ont été installées telle l’Idylle rustique qui ornait, avant-guerre, les jardins de l’Hôtel de Ville. Pour aller plus loin : Parc urbain : Le Havre, le square Saint-Roch (lehavreseine-patrimoine.fr) Poursuivez le long de l’avenue Foch vers cet ensemble conçu par Perret comme une porte monumentale ouvrant sur la mer.

Formée de deux tours de 13 étages et deux immeubles bas, la Porte Océane constitue pour les navires la porte symbolique de la cité. Véritable mise en scène du rapport de la ville à la mer, elle scande la pointe ouest du triangle monumental. Visant la réalisation de plus de 250 appartements de grand confort, le chantier permet de comparer l’efficacité de deux méthodes de construction : l’une regroupant des éléments préfabriqués dans une structure poteau-poutre réalisée sur place (partie sud), l’autre composée d’éléments usinés à distance par l’entreprise Monod (partie nord). Dessiné par Auguste Perret et deux membres de l’Atelier (André Hermant et Jacques Poirrier) entre 1946 et 1951, l’ensemble est achevé en 1955.

Trait d’union entre l’hôtel de la ville et la mer, l’avenue Foch est l’un des trois axes majeurs du centre reconstruit. Inspirée des Champs-Elysées, cette artère se caractérise par sa composition ordonnée et arborée, ses dimensions monumentales (700 mètres de long pour 80 mètres de large) et la grande qualité d’exécution des immeubles de haut-standing qui la bordent. Au rez-de-chaussée de chaque îlot, des bas-reliefs témoignent des faits et des personnalités qui ont marqué l’histoire de la cité océane. Par exemple, à l’angle de l’avenue Foch et du boulevard François 1er, les footballeurs gravés par Marcel Adam rappellent l’arrivée du football en France via les Anglais qui travaillaient dans le port du Havre. Un des premiers matchs aurait été joué à proximité de l’îlot. Pour rejoindre le point d’intérêt suivant, empruntez le boulevard François 1er qui est également l’une des grandes avenues de la ville.

Tel un phare spirituel face à l’océan, l’église Saint-Joseph se signale de loin grâce à une tour-lanterne octogonale qui culmine à 107 m. Véritable prouesse technique, le monument qui met en œuvre 50 000 tonnes de béton et 700 tonnes d’acier, répartis sur 4 groupes de quatre piliers, repose sur de puissantes fondations profondément enfoncées dans le sous-sol marécageux du Havre. Commencés en 1951, les travaux sont achevés en 1957, après la mort d’Auguste Perret, par des architectes de son Atelier. Entrez pour découvrir comment la lumière traversant les 12 768 verres colorés illumine l’imposante structure en béton brut de décoffrage. Selon la composition abstraite conçue par Marguerite Huré, les couleurs varient en fonction de l’orientation : tonalités froides à l’est et au nord, couleurs dorées et éclatantes à l’ouest et au sud. Dédiée à la mémoire des victimes civiles des bombardements, édifice emblématique de la Reconstruction en Europe, l’église Saint-Joseph s’impose comme l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture en béton du 20e siècle. Poursuivez l’exploration des équipements situés dans l’axe majeur du bassin du Commerce avec le collège Raoul Dufy qui marque votre prochain arrêt !

Ancien lycée de jeunes filles, l’équipement scolaire est construit entre 1950 et 1956 sous la direction de Pierre-Edouard Lambert, membre de l’Atelier Perret. L’ensemble s’organise en fonction de la lumière autour d’une vaste cour, conçue à la manière d’un cloître et distribuant les locaux scolaires et administratifs ainsi qu’un grand gymnase. Les portiques servant de préaux sont éclairés par des voûtes en pavés de verre. L’influence d’Auguste Perret est manifeste : sobriété, ossature visible, inscription dans une trame, fenêtres verticales, panneaux de remplissage de couleurs et de formes variées, colonnes, claustras… L’ensemble offre un échantillon typique du « Classicisme structurel » défini par l’historien de l’architecture Joseph Abram pour caractériser le vocabulaire architectural d’Auguste Perret. L’aile nord a été surélevée en 2004 par les architectes Pierre Dubus et Alain Dufresne pour agrandir l’établissement.

Contrastant avec l’architecture environnante, le musée Malraux (MuMa) est le fruit d’une étroite collaboration entre architectes (Guy Lagneau, Michel Weill, Jean Dimitrijevic, Raymond Audigier) et ingénieurs dont Jean Prouvé qui conçoit notamment le « paralum », grand brise-soleil en aluminium installé sur le toit. Ancré face à la mer, le bâtiment offre un volume lisse et transparent, complètement ouvert à la lumière et sur le paysage maritime. Ce cube de verre sans mur porteur repose sur une structure métallique qui libère un vaste volume intérieur totalement modulable à sa création. A la fois musée, salle de concert et de cinéma, l’édifice est inauguré par le ministre André Malraux en 1961 comme le premier musée-maison de la culture de France. À partir de 1967, le bâtiment est dévolu au seul musée des beaux-arts. Il est rénové par Emmanuelle et Laurent et Beaudoin en 1999 et 2006. Conservant de nombreuses œuvres d’Eugène Boudin, Raoul Dufy, Claude Monet, Camille Pissarro ou Georges Braque, le MuMa expose l’une des plus importantes collections impressionnistes et post-impressionnistes de France. À l’extérieur, face à la mer, le Signal en béton du sculpteur Henri-Georges Adam (1961), comme une « proue de bateau, signale le musée au monde. » Sur le trajet de la prochaine étape, prenez le temps d’observer les deux arches monumentales de la Catène de containers de Vincent Ganivet, œuvre conçue en 2017 pour Un Eté au Havre !

Entre la ville reconstruite et l’avant-port, le Front de mer sud dessiné par Pierre-Edouard Lambert marque, à l’extrémité de la rue de Paris, l’une des pointes du triangle monumental au même titre que l’Hôtel de ville et la Porte Océane. L’ensemble d’immeubles d’habitation et de commerces qui s’étire sur 600 m le long du quai de Southampton est encadrés par deux tours de onze étages, réparties symétriquement de part et d’autre de la rue de Paris. Cette mise en scène architecturale offre un premier aperçu de la cité aux voyageurs des transatlantiques arrivant par la mer. Construit sur une ossature poteaux-poutres garnie de panneaux de remplissage en béton lavé, l’ensemble à vocation sociale de 1 127 logements expérimente pour la 1ère fois à si grande échelle la préfabrication industrielle d’éléments standardisés en vue de réduire le coût et le temps de construction.

Axe historique majeur reliant l’avant-port à l’Hôtel de ville, la rue de Paris est élargie et redressée à la Reconstruction afin d’accentuer la perspective vers la mairie. Pour cette artère commerçante, Auguste Perret s’inspire de la rue de Rivoli à Paris en la bordant de galeries surmontées par trois étages d’habitations. Les portiques abritent les boutiques et protègent les passants de la pluie. Si chaque îlot respecte le rythme d’une colonne tous les 6,24 mètres et un gabarit sur cinq niveaux, le traitement des bétons et des colonnes, le nombre et la forme des balcons, loggias, fenêtres ou claustras offrent des expressions architecturales diversifiées dans un paysage urbain cohérent.

Ce quartier, un des plus anciens du Havre, conserve encore de nombreux vestiges d’avant-guerre (la maison de l’Armateur, l’hôtel Dubocage de Bléville, l’église Saint-François) qui ont été intégrés dans la trame d’îlots reconstruits dont la physionomie se distingue des immeubles édifiés par Perret et son Atelier. Si les édifices sont construits sur une structure poteaux-poutres en béton armé similaire au centre-ville, les parements de brique rouge et les toitures en ardoise à double pan singularisent ce quartier reconstruit par des architectes locaux. Les activités portuaires ont longtemps marqué l’identité de ce quartier, l’un des plus populaires d’avant-guerre. Après la reconstruction, le déplacement du port a modifié la sociologie du secteur même si le marché aux poissons, situé le long du quai de l’Ile, est toujours actif et prisé des Havrais.

Conçue par Charles Fabre et Jean Le Soudier en 1952, la halle aux poissons est construite sur un plan pentagonal, une forme plutôt rare en architecture. Au milieu de l’édifice, cinq piliers soutiennent un plafond à caissons et un lanterneau garni de pavés de verre. Destiné à l’origine à la vente de la pêche locale, l’édifice a été peu utilisé par les pêcheurs qui préféraient vendre leurs poissons en extérieur. Suite à l’appel à projets « Réinventer Le Havre », la halle aux poissons est actuellement en cours de reconversion avec l’objectif de devenir un nouveau lieu dédié à la mer.

Réalisé sous la direction de l’architecte Otello Zavaroni en 1957, l’ancienne Chambre de Commerce se caractérise par deux hautes colonnades venant soutenir, au nord et au sud, une toiture-terrasse surplombant de grandes façades largement vitrées et animées par des balcons en biais, des brise-soleils et des claustras. Devenu casino en 2006, la restauration de l’édifice a préservé les fresques de Nicolas Untersteller et de Paul Lemagny ainsi que l’agencement du bureau du directeur dessiné par Jean Royère. Face au casino, observez la sculpturale passerelle qui franchit le bassin du Commerce. Conçu par Guillaume Gillet en 1969, ce pont à haubans asymétrique, résultat de complexes calculs, a été primé lors d’un concours des ouvrages de construction métallique.

En 1972, la municipalité confie à Oscar Niemeyer le projet de reconstruire un théâtre à l’emplacement même de l'édifice détruit. Dans le prolongement du bassin du Commerce, l'architecte imagine le centre de la vie intellectuelle et artistique des Havrais. Autour d’une place-forum située en contrebas, s’élèvent deux cratères blancs abritant un théâtre de 1 200 places, un cinéma de 350 places et une salle polyvalente de 500 places. Prouesse technique et architecturale, l’ensemble monumental séduit par le dialogue instauré entre les courbes « légères et sensuelles » des coques en béton et le cadre urbain orthogonal de Perret. Conçu comme une sculpture habitable, l’espace ponctué de rampes et d’escaliers invite le passant à une promenade urbaine qui recompose le paysage architectural au moindre déplacement. Au début des années 2000, la redynamisation de l’espace du Volcan s’engage avec l’accord de Niemeyer. La salle de spectacle de la scène nationale est mise aux normes d’acoustique et de confort. Le petit Volcan est transformé par Dominique Deshoulières en bibliothèque moderne, baignée d’une lumière zénithale. La rénovation est achevée en 2015.