Patrimoine à vélo : Le Havre à travers le temps

Dans le plan d’urbanisme conçu par Auguste Perret, l’hôtel de ville retrouve approximativement son emplacement d’avant-guerre comme la plupart des bâtiments emblématiques. Son inauguration en 1958 symbolise la renaissance de la ville. Erigé dans un registre monumental, l’édifice se compose de deux parties distinctes dont le caractère reflète les usages : la tour-building de dix-huit étages héberge les services administratifs tandis que le bâtiment horizontal, souligné par une colonnade s’étirant sur 92 mètres, abrite les grands salons de réception. A l’extrémité est, se situe le théâtre de l’hôtel de ville. L’entrée principale a été déplacée côté nord à la fin des années 1980 lors de l’extension du bâtiment réalisée sous la direction de l’architecte Pierre Colboc. Observez le dénivelé entre jardin et la rue. Environ un mètre marque la différence entre la ville ancienne et la voirie du centre-ville reconstruite sur les débris accumulés après les bombardements. Laissez derrière vous le centre reconstruit pour vous engager sur une des plus anciennes artères de la ville, où cohabitent aujourd’hui piste cyclable et voies de circulation pour tram et voitures.

De l’hôtel de ville à la gare, le large boulevard de Strasbourg, ouvert au 19e siècle à l’emplacement des fortifications, met en scène le statut et la richesse de la cité à l’époque en plein développement. Maisons de commerce ou sièges de compagnies maritimes jalonnent la spacieuse artère, tout comme l’imposant palais de justice du Havre. Trop petit, l’ancien palais de justice du Havre, actuel Muséum d’histoire naturelle (cf. notice n°14), ne répondait plus aux besoins d’une ville en pleine croissance démographique. Le nouveau est inauguré boulevard de Strasbourg en 1876. Construit sur les plans de l’architecte parisien Jules Désiré Bourdais, l’édifice de style néo-classique se caractérise par son fronton triangulaire et ses colonnes dignes d’un temple grec. Deux statues en bronze de David d’Angers, représentant deux figures de la littérature havraise, Bernardin de Saint-Pierre et Casimir Delavigne, sont installées de part et d’autre de l’escalier d’entrée. A côté du palais de justice, s’élève un immeuble au caractère opulent et bourgeois surnommé « Fort Chabrol ». Commandé à l’architecte William Cargill en 1900, il témoigne de la réussite de l’industriel havrais Alexandre Boucher, directeur des Usines métallurgiques franco-russes. Il fait sculpter les armoiries du Havre et de Saint-Pétersbourg au-dessus de la porte d’entrée, située rue Eyriès. Prenez maintenant la direction du quartier Danton, à la découverte d’un secteur en pleine mutation !

Si la caserne des pompiers Dumé d'Aplemont est le fruit du concours remporté par William Cargill en 1912, elle n'est achevée qu’en 1924 par son associé Alexandre Franche. Édifié sur un plan en U, cet écrin pour les soldats du feu se caractérise par un bâtiment construit en brique sur une structure porteuse en béton et dont les pinacles, hautes cheminées et pignons à redents singularisent la silhouette monumentale. La cour centrale est entourée de grandes galeries permettant aux pompiers de se déplacer rapidement en cas d’intervention. Emblèmes de la caserne, deux casques couronnent le portail. Il s’agit de reproductions sculptées vers 1750 pour l’hôtel de Beauvoir, ancien siège de l’hôtel de ville. Après plus de 90 ans d’activité, la caserne est déplacée en 2014 à Dollemard. L’ensemble a fait l’objet d’une soigneuse restauration dans le cadre de la restructuration conduite par l’architecte Jean Amoyal. Elle accueille aujourd’hui une résidence intergénérationnelle ainsi qu’une galerie d’art « La Maison du regard ». Dirigez-vous maintenant vers le cours de la République.

Les cercles sont souvent associés à la sociabilité des élites. Jules Siegfried bouscule la tradition en 1876 en créant le Cercle Franklin destiné au bien-être des ouvriers. Ce membre d’une grande famille protestante alsacienne, d’abord négociant en coton, est alors un élu du Havre. Maire, député puis ministre, il s’illustre par son engagement social. On lui doit de nouvelles écoles, la Cité havraise du Rond-Point ou la loi sur l’habitat à bon marché. Pour abriter ce club ouvrier, Jules Siegfried missionne Théodore Huchon. L’architecte conçoit, au cœur d’un quartier en plein essor, un élégant édifice de brique rouge et blonde disposant de nombreuses salles pour pratiquer du sport, assister à des spectacles ou suivre des cours du soir. Les activités ne rencontrent pas le succès espéré et, en 1894, le bâtiment, mis à disposition des syndicats, devient un emblème des luttes ouvrières havraises. Poursuivez votre descente du cours de la République pour découvrir un équipement sportif de l’entre-deux-guerres.

Construite sur les plans d’André Lenoble à partir de 1937, avec un bassin suspendu alimenté par une source locale, la piscine municipale n’ouvre finalement ses portes au public qu’en 1946. En effet, elle avait été réquisitionnée en 1940 par l’armée allemande qui avait installé une tourelle antiaérienne sur le toit et fondu les deux statues d’Alphonse Saladin. Afin de faire évoluer le bâtiment aux besoins des usagers, l’intérieur est restructuré et rénové en 1977. En 2012, une dernière phase de restauration restitue la façade d’origine de style Art déco et les sculptures des baigneurs (dont les moules en plâtre avaient été conservés). Traversez le cours de la République pour faire face à un deuxième bâtiment emblématique du style des années 1930.

Mise en service le 22 mars 1847 par la Compagnie des chemins de fer de Paris à la mer, la première gare du Havre est édifiée dans le prolongement de la ligne Rouen-Paris inaugurée en 1843. Cette ligne directe relie le port à la capitale et permet aux Parisiens de rejoindre plus facilement la mer, contribuant à la popularité des stations balnéaires de la côte d’Albâtre. En 1881, une nouvelle gare est édifiée sur les plans de Juste Lisch. Les quais d’embarquement sont modernisés et une grande verrière est construite sur le modèle de la gare Saint-Lazare à Paris pour protéger les voyageurs des intempéries. Cette vaste structure métallique est conservée quand la façade est remplacée en 1932 par l’architecte Henri Pacon. Construit en béton, ce nouveau hall se caractérise par son style Art déco, sobre et géométrique. Il était complété par un beffroi qui a été détruit en 1963 pour améliorer la circulation routière du carrefour. La tour-horloge en acier, érigée en 2000, évoque son souvenir. Dépassez la gare et prenez le cours Lafayette puis la passerelle Hubert Raoul-Duval pour rejoindre un ancien quartier portuaire réhabilité en zone d’activités fourmillante.

Le développement du négoce maritime participe à l’essor du Havre tout au long du 19e siècle. Autour des nouveaux bassins Vauban, de l'Eure et des Docks, des entrepôts de stockage sont construits, au milieu du 19e siècle, dans l'esprit des docks de Londres. Ils en reprennent le vocabulaire architectural : brique rouge et blonde, armature acier, tuiles plates, shed, éclairage zénithal, rue intérieure et passages. Successivement agrandis, ils sont équipés d’engins de levage à vapeur et sont directement reliés à la gare ferroviaire. Exploités pour le stockage du café, ces immenses hangars permettent aussi d’entreposer cacao, thé, riz, épices ou coton. En 1937, Le Havre représente à lui seul 80 % des importations françaises de café. À l'aube de la Seconde guerre mondiale, les docks achevés représentent 285 640 m² de stockage. Sous l’effet de la conteneurisation des marchandises qui se développe à partir des années 1970, les docks sont progressivement abandonnés au profit de zones de stockage en plein-air. En vue de leur donner une seconde vie, l’agence d’architecture Reichen & Robert conçoit un ambitieux projet de réhabilitation dans le respect de leur aspect d'origine. Inauguré en octobre 2009, le centre commercial des Docks Vauban participe au renouveau des anciens quartiers portuaires du Havre.

A l’interface de la ville et du port, le jardin fluvial symbolise l’évolution du quartier de l’Eure. Il offre un large espace vert et une longue piste cyclable au centre d’un secteur autrefois marqué par l’activité portuaire comme en témoigne la tour des dockers. Construite en 1911 par l’ingénieur Louis Jacquet, le beffroi rythmait, jusqu’en 1962, les journées de travail en sonnant 14 fois par jour, de 6h30 à 23h. Le long du jardin, plusieurs entrepôts industriels ont été reconvertis. Ainsi, les docks Dombasle sont devenus des logements et le « Hangar 0 » se transforme en un tiers-lieu de la transition écologique et citoyenne. À l’extrémité du jardin fluvial, la résidence étudiante « A Docks », constituée de conteneurs, a été inaugurée août 2010 en lien avec l’extension du campus aux abords du bassin de l’Eure. Dirigez-vous maintenant vers le quai de la Réunion pour découvrir trois bateaux protégés au titre des monuments historiques.

Chacun de ces bateaux incarne une facette de l’histoire maritime et portuaire du Havre. Repérable à sa couleur rouge vif, le bateau-feu a été construit au chantier naval de Graville en 1935. Installé au large, il guidait les navires lors des tempêtes ou par temps de brume. Afin de conserver cette part d’histoire locale, le bateau-feu est classé monument historique depuis 2017. Juste derrière le bateau-feu, le remorqueur américain USST 488 vient rappeler que Le Havre fut le 16e port libéré par les Alliés en 1944. Ce rare témoin de la flotte destinée aux opérations navales en Europe après le Débarquement a ensuite été mis au service du dragage du port avant d’être classé monument historique en 1997. Enfin, le cotre pilote Marie-Fernand, construit au Havre en 1894, conduisait les pilotes jusqu’aux navires qui s’apprêtaient à entrer dans le chenal du port du Havre pour les aider dans leur approche. Classé monument historique en 1986, ce bateau rapide et maniable effectue toujours des sorties en mer pour le plaisir des passionnés. Dirigez-vous vers la rue Bellot et le pont des Docks rejoindre le quai Frissard et entrer dans le campus universitaire.

Plusieurs projets architecturaux récents abritant des écoles d’enseignement supérieur (Ecole Nationale Supérieure Maritime (ENSM), Sciences Po Asie, Ecole de Management de Normandie (EMN)…) ont pris place dans ce quartier en pleine requalification urbaine depuis le déplacement du port. Aux abords du bassin de l’Eure, l’ENSM, conçue en 2015 par les architectes AIA Associés, Laurent Pérusat et J-Pierre Buffi, se distingue par sa silhouette évoquant un navire. Son enveloppe de résille métallique aux reflets sombres qui fluctuent suivant les saisons, les heures du jour et les variations climatiques, contraste avec la façade du bâtiment qui lui fait face au revêtement clair et nacré. Totem architectural au centre du campus maritime, cet édifice aux volumes géométriques conçu par l’agence Groupe 6, accueille aujourd’hui l’EMN, une école de commerce qui existe au Havre depuis 1871, et l’Ecole 42. Il est temps de retourner vers le centre-ville pour explorer un quartier singulier où cohabitent vestiges d’avant-guerre et architecture de la Reconstruction.

Ce quartier, l'un des plus anciens du Havre, conserve encore de nombreux vestiges d’avant-guerre (la maison de l’Armateur, l’hôtel Dubocage de Bléville, l’église Saint-François) qui ont été intégrés dans la trame d’îlots reconstruits dont la physionomie se distingue des immeubles édifiés par Perret et son Atelier. Si les édifices sont construits sur une structure poteaux-poutres en béton armé, similaire au centre-ville, les parements de brique rouge et les toitures en ardoise à double pan singularisent ce quartier reconstruit par des architectes locaux. Les activités portuaires ont longtemps marqué l’identité de ce quartier, l’un des plus populaires d’avant-guerre. Après la Reconstruction, le déplacement du port a modifié la sociologie du secteur même si le marché aux poissons, situé le long du quai de l’Ile, est toujours actif et prisé des Havrais.

L’Hôtel Dubocage de Bléville est l’une des plus importantes propriétés privées des 17e et 18e siècles. Elle a appartenu au navigateur et négociant Michel Joseph Dubocage et à son fils Michel Joseph Dubocage de Bléville, historien naturaliste et échevin de la ville du Havre. A la fois domicile familial et espace de travail, la maison abritait les activités de négoce maritime des propriétaires et un cabinet de curiosités. La façade principale présente un haut pignon constitué de pans de bois (visibles rue Bellarmato), essentés d’ardoises tandis que l’aile gauche, se caractérise par un remarquable appareillage de silex noirs et de briques, typique des riches demeures du pays de Caux. L’Hôtel Dubocage de Bléville est aujourd’hui un musée dédié à l’histoire du Havre, comme les deux édifices qui jalonnent la suite de votre parcours.

Conçue en 1795 par Paul-Michel Thibault, architecte des fortifications et gestionnaire des fontaines publiques, la demeure se caractérise par son style néo-classique. Les références à l’Antiquité sont aussi sensibles sur la façade qu’à l’intérieur où, sur cinq niveaux, les pièces s’organisent autour d’un étonnant puits de lumière central. La maison est achetée en 1800 par le riche négociant-armateur Pierre-Martin Foäche qui y installe ses appartements et les bureaux de sa maison maritime, d'où le nom de « Maison de l'Armateur ». Très endommagée par les bombardements de 1944, la Maison de l’Armateur est classée monument historique en 1950 puis achetée par la Ville du Havre. Au terme d’une longue campagne de restauration, elle est ouverte au public en 2006. Rare témoin de la vie havraise au 18e siècle, la Maison de l’Armateur est l’un des trois musées d’art et d’histoire de la Ville du Havre.

Ancien palais de justice de la ville du Havre, l’édifice est construit vers 1760 sur les plans de l’ingénieur Pierre Alexandre Dubois en pierre de taille dans un style classique reconnaissable notamment à son fronton, ses pilastres et balustrades. Un siècle plus tard, le palais de justice est déplacé dans un nouveau bâtiment élevé sur le boulevard de Strasbourg. La municipalité décide alors d’y installer le muséum d’histoire naturelle. Durement touché par les bombardements de septembre 1944, le musée est restauré à l’identique et inauguré en 1973. Ses collections très variées comptent de nombreux spécimens naturalisés, des artefacts ou encore des dessins et manuscrits de la faune et la flore du monde entier. Le muséum, actuellement fermé, fait l’objet d’importants travaux visant à renouveler la présentation de ses collections.

La cathédrale Notre-Dame porte les marques de l’histoire mouvementée du Havre. Sa tour clocher du 16e siècle est à la fois l’élément le plus ancien et le plus symbolique de l’histoire de la ville. Attribuée à l’architecte italien Spinelli d’Urbino, l’église d’origine est endommagée à plusieurs reprises durant les Guerres de religion et la Révolution française. La variété des styles, Gothique tardif, Renaissance et baroque témoigne d’une construction étalée sur plusieurs siècles et de multiples modifications. Ainsi, la façade principale est édifiée au début du 17e siècle alors que le grand fronton et le tympan central ont été ajoutés au 19e siècle. Après les bombardements de septembre 1944, seul le clocher du 16e siècle est indemne. L’église fait l’objet d’importants travaux de restauration qui s’achèvent en 1974, année où l’église paroissiale accède au rang de cathédrale du nouveau diocèse du Havre. A l’intérieur, les vitraux du 19e siècle de l’atelier Duhamel-Marette ont été restaurés. Ils évoquent la reprise du Havre aux Anglais en 1563 et la venue d’Henri IV.